Chaque mois, un extrait de texte littéraire (romans, poésie, théâtre, essais), vous sera proposé.
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Ce mois-ci, pour fêter le printemps et les poètes, je vous propose la lecture d’une poésie de Guiot de Provins (né à Provins vers 1150, † après 1208).
Et en bon et honorable trouvère, déclamez votre vague à l’âme en version contemporaine, ou en VO, dans les rues de Provins ! 😉
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Présentation de l’auteur
Guiot de Provins (né à Provins vers 1150, † après 1208) était un trouvère[1], poète lyrique et satirique français. De toutes les chansons composées par Guiot, seules six sont parvenues jusqu’à nous, et peuvent toutes être datées des environs de l’an 1180. Il les composa en langue d’oïl.
Guiot critique dans ses œuvres, les vices des hommes de tous états, depuis les princes jusqu’aux plus petits…
Infatigable voyageur, il traversa, en déclamant ses vers, les principales villes européennes, du Saint-Empire romain germanique à la Grèce. Il connaissait également les villes de Constantinople (ville désormais appelée Istanbul) et de Jérusalem, et a vraisemblablement pris part à la Troisième et même la Quatrième croisade. À la fin de sa vie, Guiot se retira à l’Abbaye de Cluny, où il se fît moine[2].
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[1] Les trouvères sont des poètes et compositeurs de langue d’oïl de l’époque médiévale. Les femmes trouvères, sont appelées trouveresses. Les trouvères composaient des chants qu’ils pouvaient interpréter ou faire jouer. Les trouvères utilisent la langue d’oïl (parlé au nord de la France) au lieu du latin, qui commençait à se perdre dans le domaine de la poésie. Ils ont contribué par là, à la création d’une poésie en langue française. De même que les troubadours, de langue d’oc (parlé au sud de la France). Les trouvères inventent leurs mélodies et les accompagnent de ritournelles instrumentales. Ils écrivent, sur le thème de l’amour courtois (qui décrit la façon de se tenir en présence d’une femme), des pièces chantées, le plus souvent par des chevaliers, liés par le serment de l’hommage à leur femme, mais aussi des exploits chevaleresques. Un musicien qui chante des poésies, s’accompagnant d’une vièle, est appelé un jongleur. Des ménestriers ou ménestrels sont formés dans des écoles spécialisées de ménestrandie. [2] Il composa dans sa retraite, deux poèmes satiriques touchant la Morale, dont la célèbre « Bible Guiot » (le mot « bible » signifiant à cette époque « satire »), vers 1204. Ce poème, qui se compose de 2700 vers, serait l’un des plus anciens livres où il est parlé de la « boussole » : elle y est désignée sous le nom de « marinette ».
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J’aurai longtemps demeuré
loin de ma douce patrie
et maint tourment enduré
en une terre maudite,
sans pour autant oublier
le doux mal qui me plaît si fort
que je ne cherche pas la santé
tant ma douleur m’est chère.
*
Longtemps j’ai vécu dans la douleuret mainte larme versé :
le plus beau jour de l’été
me semble neige et gelée
puisqu’il me faut demeurer
dans le pays que j’exècre.
Je n’aurai plus de joie en ma vie,
si elle ne m’est donnée en France.
*
Que Dieu me donne joie et santé !La plus belle des créatures
me réconforte de sa beauté.
Son amour m’est au cœur entré,
et si je meurs en cette pensée,
je crois que mon âme sera sauvée.
Plût à Dieu que j’eusse remplacé
Celui qui l’a épousée !
*
Douce Dame, ne m’oubliez pasne soyez pas cruelle ni dure
envers moi qui vous adore
d’un profond et loyal amour.
Et si ainsi vous me tuez,
hélas ! je payerai trop cher
l’amour dont je suis affligé,
Mais pour l’heure il est entier.
*
Hélas ! que je suis infortunési ma prière n’est écoutée
de celle à qui je me suis donné
sans pouvoir m’en délivrer !
Trop longuement je me suis tu
par crainte des médisants
dont aucun ne se lassera
de dire du mal par-derrière.
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Anthologie de la poésie lyrique française des XIIe et XVIIIe siècles, Édition bilingue de Jean Dufournet, Gallimard, 1989, p. 88-91.
En savoir plus sur Guiot de Provins (Wikipédia) et découvrir ses œuvres en ligne (VO).
En langue d'oïl (VO): Molt avrai lonc tans demoré Fors de ma douce contree Et maint grant enui enduré En terre malëuree. Por ceu, n'ai je pas oblïé Lo douz mal que si m'agree, Don ja ne quier avoir santé Tant ai la dolor amee. Lonc tens ai en dolor esté Et mainte larme ploree : Li plus bels jors qui est d'esté Me semble nois et jalee Quant el païs que je plus hé M'estuet faire demoree : N'avrai mais joie en mon aé S'en France ne m'est donee. Si me doint Deus joie et santé, La plus bele qui soit nee Me conforte de sa biauté. S'amors m'est el cuer entrée ; Et se je muir en cest pansé Bien cuit m'erme avoir salvée. Car m'ëust or son leu presté Deus ! cil qui l'a esposee. Douce dame, ne m'oblïez Ne soiez cruels ne fiere Vers moi, qui plus vos aim k'asez De bone amor droituriere. Et se vos ensi m'ocïez, Las ! trop l'achèterai chiere L'amor don si me sui grevez, Mais or m'est bone et entiere. Hé, las ! con sui desëurez Se cele n'ot ma proiiere A cui je me sui si donez Que ne m'en puis traire arrière. Trop longuement me sui celez : Ceu font la genz malparliere Don ja nus ne sera lassez De dire mal par darriere.